Tribune - Comme s’il fallait la guerre pour s’aimer plus fort
- Rédaction Logos
- il y a 6 jours
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Par Gilles Brand - Logo, Tribune philosophique

Parfois, l’humanité donne le vertige. Il faut qu’elle tombe pour se relever, qu’elle saigne pour se rappeler qu’elle est vivante, qu’elle perde pour se souvenir de ce qu’elle avait. L’histoire est jalonnée de ces absurdités tragiques, où l’amour, la fraternité, la solidarité ne surgissent qu’après les cendres. Comme s’il fallait la guerre pour s’aimer plus fort.
On a vu les étreintes dans les gares à l’aube des mobilisations. On a lu les lettres tremblées d’amour dans les tranchées, quand l’homme, devenu chair à canon, n’avait plus que la mémoire des baisers pour se raccrocher à la vie. On a vu les peuples se redire « plus jamais ça » après chaque cataclysme, se prendre la main, reconstruire, pleurer ensemble, comme si la souffrance devait précéder la tendresse. Comme si l’on ne pouvait mesurer la valeur de l’autre qu’au bord de sa disparition.
Aimer en temps de paix, aimer quand tout va bien, aimer sans menace ni compte à rebours, voilà peut-être le vrai courage.
Et pourtant, quelle misère que cet amour à retardement. Pourquoi faut-il attendre le chaos pour se redécouvrir frères et sœurs ? Pourquoi faut-il la peur pour apprendre la douceur, la destruction pour désirer la paix, le bruit des bombes pour tendre enfin l’oreille aux silences de l’autre ?
C’est que la guerre, dans sa brutalité, dépouille l’homme de ses illusions. Elle raye d’un coup le superflu. Elle rappelle, avec une précision terrifiante, ce qui compte : un regard, une voix, une main. Elle remet le cœur au centre, quand tout le reste est dévasté. Mais pourquoi devrions-nous attendre le fracas pour retrouver l’essentiel ?
Le philosophe stoïcien Marc Aurèle écrivait : « Ce n’est pas la mort que l’on redoute, mais de ne pas avoir commencé à vivre vraiment. » Et peut-être est-ce cela : la guerre nous contraint à vivre avec urgence, à aimer avec ardeur, comme si chaque instant était le dernier. Elle bouscule notre paresse affective. Mais ne serait-il pas plus noble, plus humain, d’aimer ainsi… sans le prétexte de l’effondrement ?
Aimer en temps de paix, aimer quand tout va bien, aimer sans menace ni compte à rebours, voilà peut-être le vrai courage. Car l’amour qui naît dans la guerre est souvent un cri, mais l’amour qui dure dans la paix est un choix.
Alors non, il ne faut pas la guerre pour s’aimer plus fort. Il faut la mémoire des guerres, la lucidité, la gratitude, et la décision de ne pas attendre la catastrophe pour se prendre dans les bras. Il faut réapprendre à vivre avec intensité sans drame, à aimer avec profondeur sans tragédie, à être ensemble sans conditions.
Il faut refuser cette logique perverse où le pire devient la condition du meilleur. Et faire de l’amour un acte de paix, renouvelé chaque jour, non par nécessité, mais par conviction.
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